Smokey-Kong a écrit : ↑12 oct. 2024, 14:22
je voudrais faire un petit historique de l'une des plus grosses arnaques de ces dernières années :
Chichibu.
Ces whiskies, arrivés il y a une dizaine d'années, ont immédiatement été présentés au WL comme une production de luxe, confidentielle, rare et destinée à une certaine élite (qu'il est bon de croire que l'on fait partie de l'élite parce que l'on porte une Rolex, et que l'on achète la gamme Artist !).
Au fil des ans, il est devenu de plus en plus difficile, de façon tout-à-fait artificielle, d'en acquérir une bouteille : il y en avait une poignée à la boutique du Live, qui partaient immédiatement au grand dam des fan's, puis il a fallu participer à des tirages au sort... Bref, tout était fait pour donner une impression de rareté au pigeon usuel (précisons que je n'en ai pas acheté une seule bouteille).
Maintenant regardez sur le site de LMDW : revoilà les bouteilles soi-disant épuisées, gentiment stockées pour créer la pénurie et devenir des collectors, revendues quatre fois le prix initial (déjà absurde) ; vérifiez, tous les millésimes y sont. En bref, on a eu toutes sortes de manoeuvres dilatoires pour faire monter les prix, et le vrai stock ressort.
S'il en a qui doutent encore de la duplicité de certains des grands acteurs du monde du whisky, tant pis pour eux !
Je n'ai pas exactement le même ressenti que toi sur Chichibu. Voici "mon" historique:
Retour en arrière autour de 2010-2011.
Je viens de plonger dans le whisky (entendre par là: ça devient une vraie passion dans laquelle je m'investis, dans tous les sens du terme). L'étincelle de mon intérêt pour le whisky a été la découverte des Japonais. Je kiffe Karuizawa, Hanyu et tutti quanti. Mais quand je découvre Chichibu, je me dis cette distillerie vient de naître (en 2008) et sort son premier jus de 3 ans. C'est l'occasion de suivre une nouvelle distillerie japonaise (et il n'y en avait pas d'autre "nouvelle" à l'époque), à la taille modeste, un peu artisanale, avec un Ichiro Akuto qui a l'air d'un personnage très intéressant. Bref, je me mets en tête d'acheter chaque embouteillage depuis le départ - tant pour collectionner que pour déguster. Je me procure même des Newborn, les jus quasi sortis de l'alambic, à peine vieillis de 2 ou 3 mois.
Au début pas de souci, j'achète ce qui sort, en me disant naïvement ils vont en sortir un nouveau par an peut-être. Et pourtant j'aurais dû me douter un peu que ce n'était pas du tout le plan d'Akuto - qui est aussi un as du marketing (pun intended), cf la série des Hanyu cards. Chichibu se décline bientôt en autant de single casks différents, joliment marketés, séduisants, et souvent très bons (là chacun a son propre goût, on peut discuter des finishs malheureux, mais le distillat de base est une réussite - perso, je préfère leurs bourbon refill, leurs jus les moins retouchés on va dire).
Les premières années, j'achète les chichi lmdw, et puis très vite ça se raréfie, j'arrive à n'en avoir plus qu'un ou deux, puis plus du tout. Courbe inverse de l'inflation tarifaire de ces bouteilles. Vais-je blâmer lmdw ou Akuto ? Ils font leur boulot qui est aussi de créer et faire monter une marque, pas seulement de fabriquer et vendre (et ça, ça ressort clairement des entretiens des uns et des autres au fil des ans). Ils proposent une offre attractive pour un public de plus en plus amateur et fan, prêt à dépenser plus d'argent. On en revient toujours à l'offre et la demande.
Qu'ils mettent de côté des bouteilles pour les ressortir plus cher plus tard, ça nous a tous énervés. Mais ça en énerve surtout beaucoup parce qu'ils n'ont pas pu acheter ces bouteilles au prix de sortie, et qu'ils auraient préféré thésauriser ces bouteilles à la place de lmdw - je ne parle pas que des spéculateurs du dimanche (on les connait) mais aussi des collectionneurs et amateurs (rares sont les amateurs qui n'ont pas revendu une bouteille de-ci de-là, ce ne sont pas des spéculateurs pour autant). L'adage le plus vrai restant celui évoqué dans La Part des Anges: on a besoin de 3 bouteilles de chaque, "1 to keep, 1 to trade and 1 to drink with friends". Du côté lmdw and co, on oublie toujours un peu vite que lorsqu'un second marché double dans l'heure qui suit les prix du premier marché, il ne faut pas s'étonner que le premier marché réagisse et monte ses prix pour rattraper ce second marché, en résulte l'inflation qu'on connaît, mais aussi le stockage d'une partie des références pour le futur - encore une fois, ça nous agace, mais je peux imaginer dans l'autre sens, que le second marché doit (devait) pour le moins agacer les acteurs en première ligne (lmdw, distilleries, cavistes, etc.).
L'offre et la demande, ça fluctue. Aujourd'hui, vous trouverez sans trop de souci les single casks Chichibu au prix de sortie, car plus personne n'en veut. L'effet rareté s'est étiolé (piqûre de rappel: une distillerie en fonctionnement continue à sortir des bouteilles chaque année, indéfiniment, ce n'est pas une closed distillery dont les stocks convergent immanquablement vers zéro), le marché s'est retourné car la demande ne suit plus (pour plein de raisons différentes d'ailleurs). Les prix sont à leur apogée, mais les nouveautés ont du mal se vendre, les stocks d'invendus s'accumulent. Les prix vont-ils baisser? Je renvoie à mes interventions plus haut dans ce thread.
Pour conclure, Chichibu ne m'a jamais paru une arnaque. C'est une belle distillerie avec beaucoup de beaux produits (mais une majorité de produits qui ne sont pas à mon goût aussi), et surtout une politique marketing très pensée (quelqu'un a dit "premiumisation"?) qu'on peut comparer à d'autres acteurs des spiritueux (coucou Gargano!). De mon point de vue, j'ai vite abandonné l'idée de collectionner Chichibu (heureusement - ici, la plupart ne voient de Chichibu que ce qu'en sort lmdw, mais regardez dans les autres pays, tapez "chichibu intergalactic" et vous aurez l'impression que les prix des SC de Lmdw étaient sous-évalués), et le marché des whiskies japonais est devenu tellement prolifique que je n'achète que de temps en temps certaines releases.
Nous avons tendance à tout analyser à l'aune de notre propre approche (ici essentiellement celle d'amateurs qui goûtent, dégustent, discutent les whiskies qu'ils ont la chance de goûter), et nous en oublions que le whisky n'est pas fait que pour nous "amateurs éclairés", que le public est bien plus large et plus divers - qu'il s'agisse de collectionneurs non-buveurs (ça existe plus qu'on ne le croit), de buveurs occasionnels, de cadeaux de famille ou de cadeaux d'entreprise (vous avez sûrement déjà entendu des histoires sur les cadeaux de ce genre en Asie, en Chine particulièrement), ou du simple consommateur qui prend une bouteille par an chez le caviste.