Allez, chose promise chose due : retour donc ce mercredi à The Auld Alliance en sachant que j'ai une heure devant moi, il faut que je sois efficace, que je repère rapidement dans le menu une paire de trucs qui vont se livrer relativement vite et qui me font envie.
Je repense du coup à leurs embouteillages exclusifs "feuille de trèfle" de vieux Irish (il y a eu un Bushmills 88, un Bushmills 89, et un Cooley tourbé 91), je me rends donc à la page Irish. Et c'est là que je le vois. Ce truc que j'ai toujours été frustré de ne pas avoir acheté à sa sortie (en poussant bien via mes contacts j'aurais pu mettre mes pates sur une bouteille à prix de sortie, je me contenterai finalement de sa soeur de 1989 en bourbon qui ne devrait pas être dégueu pour autant) : cette petite légende moderne qu'est ce
Irish 1990-2018 28yo, Ten Years TWA, Sherry, 42.4%
https://www.whiskybase.com/whiskies/whisky/110358
Parmi les Irish sherry modernes de cette période il représente un peu à mon sens, du moins en termes de réputation, un des quatre points cardinaux des grosses grosses quilles avec (par exemple hein, liste non-officielle
) le Redbreast 1991 25yo LMDW, le Teeling 1991 TWE 6838, et bien sûr le Maria Label. Les attentes sont donc hautes : elles ne seront pas déçues.
Superbe nez qui m'évoque directement un whisky que je connais très bien car j'en ai encore une bouteille ouverte, et j'insiste sur le fait que c'est un énorme compliment pour ce dernier (sur papier nettement moins prestigieux et moins onéreux) : l'Inchmurrin 2003 Sherry "Law" des Whiskynerds. La parenté est frappante, au début on pourrait confondre l'un pour l'autre. Maaaaaaais la nature est bien faite car le maître va bientôt réassoir sa supériorité : avec l'air, il le dépasse et gagne en profondeur sur le Noir de Noir de Tom Ford, la forêt noire, la framboise, la pastèque, la groseille, le fruit de la passion. Assez superbe, c'est lisible, expressif sans être explosif, et ça donne vraiment ce qu'on en attend avec néanmoins un profil très fruité rouge et noir, les tropicaux du distillat sont clairement au second plan. L'entrée de bouche est ma-gni-fique : le proof est juste délicieux, c'est du 42% cask strength et une fois de plus ça fait toute la différence. Je suis de plus en plus fan de ces degrés dans les 40 mais
naturels, c'est fondamentalement différent de la même force en réduit concernant la concentration aromatique. Bref, cette attaque est vibrante, puissante et joueuse entre acidité assez haut perchée et légers tanins (oui oui) cacaotés comme un grand bourgogne, velours textural donc et puis, deux trois secondes après l'entrée, coup d'éclat aromatique absolument génial : pendant un instant fugace tout est à sa juste place, c'est les quelques premières notes de Kid A en bref, c'est l'extase, pivoine, rose ancienne, framboise, lychee, mangoustan, fraise des bois, splendide. Seul reproche c'est que la seconde partie de bouche, quoi que longue et délicieux en texture reste surtout axé sherry cacaoté et fruité mais le fruit tropical du distillat pourrait être plus présent et on n'a pas réellement une longue stabilité dans le temps de ce pur moment de grâce. Mais bon. Finale de grande fraîcheur et de longueur colossale pour 42°(à nouveau, c'est parce que ce sont des "vrais" degrés) où arrive le pamplemousse et la menthe ou le shiso en accompagnement de ce sherry d'école, très marqué certes mais de parfaite éducation. Le nez évolue sur les champignons et le sous bois par la suite.
Pour l'excellente facture de cet Irish très marqué par son fût j'aurais bien mis 93, mais l'instant magique qu'on cherche tous et qui arrive bel et bien ici en début de bouche fait que ça justifie
(93-)
94
Et c'est sans scrupule que je le mets puisqu'à y regarder par la suite sur WB je vois que cette bouteille a tout autant excité les copains Elskling et Aphex
Dans ce genre de rares moments où on score aussi haut (pour info c'est mon 3ème 94 et je n'ai que 2 95 au-dessus), c'est toujours très intéressant de se forcer à se demander ce qui empêche d'aller encore plus haut. Pour moi ici la réponse est simple : l'équilibre entre fût et fruits tropicaux initiaux du distillat pourrait être plus balancé, ici les premiers l'emportent et ce sera trop pour certains. Ensuite, dans la même veine, la seconde partie de bouche pourrait être un peu plus évolutive. Enfin, certains trouveront le côté légèrement tannique/cacaoté comme un signe de boisé ostentatoire, ce qui n'est pas du tout mon cas.
Bref, c'est du lourd. C'est à la fois hyper excitant et légèrement déprimant quand une bouteille aussi intouchable est à la hauteur de son pédigree. Mais une autre conclusion à tirer également de cette dégustation ... c'est que l'Inchmurrin Law était et reste une p***** d'affaire dans un style proche des grands Irish sherry !!
Que déguster après ça ?
Je prends le risque de vouloir rester dans la même veine aromatique à priori, quitte à être décu et désservi par l'ordre de passage. J'ai de la chance, il n'en sera rien avec ce magnifique
Tomatin 1976-2012 36yo The Whiskyman, 49,3%
https://www.whiskybase.com/whiskies/whi ... -1976-twhm
Selon les bouteilles et les dégustateurs, ce Tomatin a parfois suscité des avis assez contrastés, certains le considérant parmi les meilleurs Tomatin 1976 là où d'autre pas du tout. Ça tombe bien, c'est (si ma mémoire est bonne) mon premier Tomatin 1976, je n'ai donc aucune base de comparaison. Si ce n'est bien sûr l'Irish qui vient de passer, qui met la barre très haut. J'attendais donc un dram également exotique et très facile d'accès mais moins marqué sherry : c'est ce que j'ai eu.
Concernant l'Irish j'ai dit que le nez était expressif sans être explosif. C'est pour faire le distinguo avec celui-ci, qui est vraiment explosif. Ça saute du verre. On est en plein marché des fruits exotiques dans un pays d'Amérique Latine ou d'Asie du Sud-Est encore un peu crasseux sur les bords, c'est décadent à souhait mais limite surmûri, "decaying". Durian et mangue en train de pourrir, cire chaude, cherimoya, massepain très puissant, camphre, cirage, encens, cacao, c'est HYPER ouvert, ça saute au visage. C'est incroyablement pommadé et onctueux,
au nez : comment est-ce que ça peut donner cette impression ? Poivre exotique. Pu erh humide. Puis j'ai juste sur ma feuille "Asie rurale". Ça fait vraiment voyager ça, ça en dit long. Quel nez. Bouche superbe de présence qui commence sur l'ice tea pêche, enchaîne sur le camphre, l'orange aux épices, l'équilibre est idéal, il y a du bois mais c'est fragrant, moins de magie expansive au niveau aromatique qu'au nez mais on vole quand même sacrément haut. Délicieuse évolution sur le café au lait et la myrtille, ça bouge. Crème vanille, plus pâtissier. Bref l'attaque est moins magique que celle de l'Irish (et moins magique que le nez du Tomatin) mais c'est plus évolutif en bouche. A la déglutition on a un très joli kick durian-melon et beaucoup de fraîcheur qui revient, latte noisette à la Starbucks, mandarine, c'est assez stable et d'une grande propreté, peu boisé (plutôt moins que l'Irish qui l'était déjà honnêtement très peu à mon sens, mais était nettement plus sherry en revanche). A nouveau finale longuissime pour un dram sous les 50%. Deuxième attaque aussi réjouissante voire un peu plus, c'est vraiment aromatique et ça met le smile, sur ce thé très fruité, ce camphre, ce sol de forêt humide / pu erh, et ces fruits trop mûrs. Dram de très haut niveau qui n'aura absolument pas démérité, mais finalement pour des raisons assez différentes de l'Irish. Ici c'est le côté évident, exubérant, expansif et pommadé du nez qui porte l'ensemble. Seul l'arrière goût dix minutes après la sortie du bar est très légèrement plankish, mais c'est mineur, et à 36 ans ça peut se pardonner.
93
Moi content